Vendredi 20 septembre, la première édition
du Festival des Ecrivains du Monde démarre avec une soirée en compagnie de
l’écrivain américain Edmund White. Auteur, journaliste, spécialiste de littérature
française, biographe, White est surtout le précurseur de la littérature gay et
un activiste pour la lutte contre le SIDA. Compte-rendu d’une soirée à la
Maison de la Poésie.
Par Valeria Nicoletti
Dans la bruyante rue Saint-Martin, la
Maison de la Poésie est une petite porte cachée dans le passage Molière.
Parmi les galeries, les magasins de bijoux artisanaux et les petits
restaurants, le cœur poétique de Paris a été choisi pour accueillir le début de la première édition du Festival des Ecrivains du Monde, organisé
par la Bibliothèque Nationale de France et le siège parisien de l’Université
Columbia. Célébrant
Paris et
New York en tant que
villes culturelles par excellence ainsi que capitales du marché éditorial, le
Festival a réunit à Paris une trentaine d’écrivains provenant d’un peu partout
dans le monde, de
Salman Rushdie à
Gayatri Spivak, en conversation avec
professeurs et journalistes culturelles pendant trois journées à Paris.
Parmi les intervenants, ils sont nombreux
les écrivains gardant dans leurs souvenirs les années folles passées à Paris dans leur jeunesse. Notamment, Edmund White. Auteur de romans, de mémoires et
d’essais sur la littérature française, ainsi que de biographies consacrées à
ses idoles littéraires tels que Jean Genet, Marcel Proust et Arthur Rimbaud,
White a vécu en France de 1983 à 1990, période dans laquelle il s’est
personnellement investit dans la création de AIDES, association de lutte contre
le SIDA. Vendredi 20 septembre, premier jour de festival,
Edmund White est accueilli près de la Maison de la Poésie par
Elisabeth
Ladenson, chef du Département de Français de l’Université Columbia, pour une
conversation intime et informelle sur les clichés de l'écriture, les souvenirs parisiens et la question de l’identité homosexuelle en littérature.
In French, obviously.
Dans le rayon pédé
« Oui, en Amérique, je suis dans le
rayon pédé », plaisante White, en réaction à l’introduction de Ladenson,
qui le définit comme pionnier de la littérature gay et spécialiste de
l’homosexualité. A l'honneur de la conversation, son dernier livre Jack Holmes and His Friend, qui raconte
l’histoire d’une amitié entre un homme hétérosexuel et un homme homosexuel.
« Vous savez », dit White, « les blancs hétéro sont une
race un peu mourante désormais », mais on peut pas dire le même pour les
sujets traités par le roman homosexuel, considérés épuisés par une certaine
critique. « Il y a le risque que les écrivains homosexuels deviennent
banaux », continue White, « et qu’il soit nécessaire de recourir à
l’expérimentation, mais c’est pas mon cas ». L’histoire de Jack Holmes est
en fait l’un de premiers livres où l’on explore les dynamiques délicates d’une
amitié entre un hétérosexuel et un homosexuel sans glisser dans l'érotisme le plus facile. « Chez Proust, on se retrouve à lire
de véritables dissertation contre l’amitié », explique White, « un
sentiment inutile, une perte de temps, comme l’amour, mais là, au moins, il y a
l’excitation de la jalousie ». Mais il n'était qu'un menteur, « qui niait sa foi juive, son homosexualité, et son
snobisme ».
Journaliste, étudiant de littérature, âme
perdue dans la New York foisonnante des avant-gardes artistiques, White a été reconnu comme porte-parole de la communauté gay aux
Etats-Unis dès ses premières ouvrages, parmi lesquelles on retrouve Forgetting Elena, The Joy of Gay Sex ou encore States
of Desire : Travels in Gay America. Mais c'est avec son chef d’œuvre A Boy’s Own Story, le premier volet de sa trilogie autobiographique, qu'il atteint le sommet du succès. « Je voulais être écrivain, mais
j’avais pas forcément de grandes choses à dire », raconte White,
« j’aimais l’idée d’être un auteur, de faire partie de cette
intelligentsia que je rencontrais à l’occasion de mes soirées dans Paris, avec
les artistes, les comédiens, les poètes ». C’est peut-être pour cette
raison que White se peint dans presque tous ses livres comme un auteur très peu
doué pour l’écriture, qui se contente de marcher et boire des coups parmi les
vrais, et faux, génies du milieu intellectuel, et dont la vie ressemble de
plus en plus à un rêve.
Flâneries de New York à Paris
La dimension imaginaire de la littérature,
caractéristique fondamentale pour le White écrivain, ne disparaît pas dans ses
mémoires, notamment dans City Boy, où
White peint le portrait de New York dans les années 70, de ses amours
frénétiques, de la fourmillante scène artistique et culturelle, raconte des
conversations avec Susan Sontag et les autres intellectuels newyorkais, et dans
The Flâneur (dont le sous-titre c’est
A Stroll through the Paradoxes of Paris),
une promenade dans le rues parisiennes, dans les lieux cachés de la ville et dans
ses salons snobs et vivants, où l’on découvre un Paris inédit même pour les parisiens, des librairies
méconnues aux détails piquants sur la vie de Colette.
Il est certainement difficile de ne pas
associer la littérature de White avec son homosexualité et son engagement pour
les droits des gays et la lutte contre le SIDA. Toutefois, ce serait dommage,
ainsi que une faute critique, d’emprisonner son écriture dans la cage étroite
d’une étiquette et de classer définitivement White parmi les écrivains
homosexuels, auxquels les hétéro se méfient, toujours, de s'approcher. Et si la
critique littéraire a encore un sens aujourd'hui c’est bien celui de sortir les livres de
ces cages. Et les écrivains comme White du rayon pédé.